lundi 28 février 2011

Olof Palme, mystères

Il y a 25 ans jour pour jour, les Suédois apprenaient, tard dans la soirée, que leur premier ministre avait été assassiné par balles. Très peu de personnes virent Olof Palme gisant sur le trottoir de Sveavägen, une des avenues principales de Stockholm, quasi-déserte à cette heure-là (devant cette vitrine en photo, au coin de la rue).


Cette mort violente n'en a pas moins marqué en profondeur un pays qui se croyait immunisé contre un tel acte, lové qu'il était dans le cocon de l'Etat-providence qu'il avait patiemment tissé. Les ratages de l'enquête, eux, ont ébranlé la confiance que les Suédois accordaient à leurs autorités. Ils ont aussi donné naissance à des théories fantasmagoriques sur le ou les auteurs du meurtre... (l'émission Rendez-vous avec X, sur France-Inter, reprend ici quelques pistes).
Jusqu'à aujourd'hui, donc, l'affaire reste nimbée de mystère.
Il y a un an, je racontais ici (Cette nuit-là, un inconnu) comment le jeune appelé de permanence que j'étais avait vécu cette nuit du 28 février au 1er mars 1986. Aujourd'hui, je vais reproduire l'article que j'ai écrit pour Le Temps, quotidien de Suisse - tiens, un autre pays "neutre" - où l'on garde un œil attentif à ce qui se trame en Suède. L'article a été publié en ce jour de commémoration. Je l'ai complété de quelques photos puisées sur la Toile.

Auparavant, je vous recommande ce portrait audiovisuel assez éloquent ("le Kennedy européen... citoyen jacobin bien élevé... aux yeux perçants au gris-bleu scandinave dont on ne trouve l'équivalent que dans le reflet de l'acier suédois... patricien rouge...") réalisé par l'ORTF et conservé dans les archives de l'INA. Ainsi que le journal d'Antenne 2 diffusé le lendemain du crime.
Je signale aussi un site proposant des discours et articles (en anglais) de cette figure de la social-démocratie européenne. Sur la page d'accueil du site, je vous conseille un petit film muet tourné en 8 mm par Palme lui-même, lors d'une visite en Algérie à l'automne 1962, alors qu'il n'était qu'un collaborateur de Tage Erlander, son mentor et prédécesseur à la tête du gouvernement.
De ce séjour, Palme écrivit plus tard: "Là, j'ai appris à quel point il était important de soutenir les mouvements de libération". Il le montra par la suite en manifestant contre la guerre du Vietnam et en exprimant son soutien à des nouveaux régimes post-coloniaux. Dans les coulisses, pourtant, Palme était soucieux de ménager le gouvernement américain en maintenant une collaboration secrète face à l'Union soviétique, selon des livres d'historiens et de journalistes (voici le dernier en date) qui écornent ainsi l'image d'un Palme croisé de l'anti-impérialisme américain. Ah, Realpolitik, quand tu nous tiens...

L'ARTICLE publié dans Le Temps:


Vingt-cinq ans après sa mort, l’énigme Olof Palme




28 février 2011

Cette fois-ci, c’en était trop pour Mårten Palme. Le fils cadet de l’ex-premier ministre suédois ne pouvait pas laisser dire, sans preuve aucune, que son père avait été assassiné par des militaires ou des policiers. Que la personne se répandant dans les médias pour avancer cette thèse, Leif G. W. Persson, soit un professeur en criminologie, auteur de polars à succès [dont un inspiré par ce meurtre], ne lui permet pas d’avancer n’importe quoi, selon Palme junior. «Sa théorie est infondée! Il tombe dans le même piège que d’autres avant lui, en cherchant des éléments qui renforcent sa propre conception de qui a pu commettre le meurtre.»

Ce petit règlement de comptes a fait grand bruit la semaine dernière en Suède, alors que le royaume commémore la mort d’Olof Palme, le 28 février 1986. Il en dit long sur l’impuissance du royaume à éclaircir la plus grosse affaire criminelle de son histoire contemporaine. Car, en dépit d’un travail considérable, en dépit de l’assistance apportée par des polices étrangères, l’assassinat de cette figure de la social-démocratie européenne n’a toujours pas été élucidé.

Il y a un an, le parlement de Stockholm a modifié la législation qui, auparavant, fixait à 25 ans le délai de prescription pour meurtre. En théorie, la police suédoise peut donc continuer indéfiniment à enquêter jusqu’à ce qu’elle débusque le ou les coupables. Mais y parviendra-t-elle un jour? 95% des Suédois ne le croient pas, selon un récent sondage publié par le journal Svenska Dagbladet.

Pour bon nombre d’entre eux, l’auteur du meurtre a bien été identifié… et il est mort. Christer Pettersson, un marginal arrêté en 1988, a été reconnu par Lisbeth Palme, l’épouse du premier ministre, avec lequel elle rentrait à pied d’une séance de cinéma, sans garde du corps, lorsqu’il fut abattu en pleine rue. Pettersson, qui aurait ainsi vengé un ami incarcéré, a été condamné à la prison à perpétuité. Puis gracié en appel pour cause de manque de preuves matérielles. De plus, Lisbeth Palme aurait été influencée par la publication d’une photo du suspect avant d’être confrontée à lui.

La Cour suprême a définitivement classé le dossier en 1998. Pettersson, impénitent consommateur d’amphétamines, est mort six ans plus tard, non sans s’être vanté d’avoir commis le crime… Il n’est pas le seul. Pas moins de 130 personnes ont «avoué» avoir tué le dirigeant, surtout dans les premières années qui ont suivi le drame. Des mythomanes, a conclu la police. Celle-ci n’a pas manqué de travail au fil des années: quelque 11 000 personnes ont été accusées nommément d’avoir appuyé sur la gâchette.

A plusieurs reprises, les Suédois ont cru que la police, après un début d’enquête pour le moins poussif, était enfin sur la bonne voie. Les hypothèses avancées les firent voyager en divers endroits de la planète, là où on aurait pu commanditer l’assassinat. Palme avait entrepris une médiation de paix entre l’Iran et l’Irak, alors en guerre. Il tentait de promouvoir une «troisième voix» entre Est et Ouest, au nom d’une Suède «neutre» jugée trop proche de Moscou par certains. Il honnissait le régime de l’apartheid sud-africain, qui le lui rendait bien.

C’est ainsi que s’entrechoquèrent plusieurs «pistes»: la CIA – associée à des policiers suédois d’extrême droite –, la police sud-africaine, le PKK (parti pro-indépendantiste kurde de Turquie) mécontent de la surveillance de ses membres en Suède, etc. Pas plus tard qu’en janvier, c’est la piste yougoslave qui a ressurgi à la faveur d’une enquête du magazine allemand Focus. Sans conséquence jusqu’à présent.

«Que l’appareil d’Etat suédois n’ait pas pu gérer une telle affaire a secoué les Suédois et réduit leur confiance en lui», pointe Kjell Östberg [lien radio, en suédois], un historien auteur d’une biographie de Palme. Conséquence, la population a accordé une oreille attentive aux «révélations» faites par des détectives privés plus ou moins sérieux. L’un d’eux a expliqué le meurtre par un trafic de diamants, un autre a accusé des membres de la famille Palme, etc. La récom- pense de 7,2 mil- lions de francs suisses, promise pour tout indice décisif, tient toujours.

Pour la police, l’élément qui pourrait relancer l’enquête serait la découverte de l’arme du crime, un Smith & Wesson 357 Magnum, selon les analyses balistiques. En 2006, un tel revolver, recherché de longue date, était retrouvé. Las, il était trop rouillé pour «parler». Les quatre enquêteurs du «groupe Palme» n’abandonnent pas leur mission, sans trop y croire. «Il faut être réaliste», lâche Stig Edqvist, son chef depuis 14 ans.

vendredi 25 février 2011

"Secrets" de diplomates, 20 ans après

Pas évident, le métier de diplomate de nos jours... Vos télégram- mes et autres rapports censés rester confidentiels risquent d'atterrir sur le site de WikiLeaks ou ailleurs. Internet et les réseaux sociaux font que l'information - vérifiée ou non - circule à une telle vitesse que vos analyses risquent d'apparaître périmées du jour au lendemain. Y compris dans les régimes dictatoriaux en principe très peu ouverts sur le monde extérieur, où naguère le diplomate avait l'avantage d'être sur place, même quand les médias occidentaux n'y étaient pas autorisés. Et puis il y a la politisation de certains de vos chefs, ambassadeurs nommés moins pour représenter un Etat que son président et (tenter de) corriger les éventuelles erreurs de pilotage de ce dernier.

Il est intéressant, à cette aune-là, de prendre connaissance des rapports pondus par des diplomates suédois à propos des républiques baltes d'URSS, au moment où celles-ci s'émancipaient de Moscou pour recouvrer leur liberté. Le gouvernement suédois a décidé de les publier avec 30 ans d'avance par rapport à la loi, et ce, à l'occasion du 20ème anniversaire du retour des Baltes à l'indépendance. Cette reconquête ne fut pas une mince affaire et, si elle se déroula sans grande effusion de sang, elle eut, elle aussi, son lot de tensions et de drames. Cette vidéo en témoigne, réalisée par le Letton Juris Podnieks et son équipe lors d'une (vaine) tentative de reprise en main par des OMON, forces de police soviétiques, le 21 janvier 1991 à Riga:




Vingt ans.
J'ai l'impression que c'était il y a nettement plus longtemps. Les pays baltes ont beaucoup changé depuis, en profondeur ou en surface. Les conditions de travail aussi: contempler les copies numériques des notes diplomatiques suédoises tapées sur des machines à écrire antédiluviennes, ça nous renvoie à l'ère d'avant Internet, d'avant les téléphones mobiles (je suis heureux d'avoir connu cette époque à mes débuts dans le journalisme, même si la fin était proche).

J'avoue n'avoir, pour l'instant, lu qu'une infime partie quelque 90 documents - en langue suédoise - désormais disponibles au public. Après en avoir parcouru quelques-uns, je ne suis pas sûr de l'intérêt réel qu'ils représentent pour moi, alors que le temps me manque pour faire ne serait-ce que la moitié de ce que je veux. De plus, la méthode de lecture proposée n'est guère aisée. On a beau être à l'ère Internet, celui-ci reste parfois peu commode ou mal adapté. La numérisation de vieux rapports dactylographiés a tendance à rendre plus flous les caractères, je vous assure: faites le test vous-même (à moins que ma vue ait baissé!).

* * *

Plutôt que de m'abimer les yeux, je vais me replonger dans un livre écrit par l'un des diplomates suédois alors en poste en URSS. Dag Sebastian Ahlander était consul général à Leningrad durant ces années décisives. Dès 1992, il a raconté dans un ouvrage ses missions sur le terrain, le climat de suspicion, ses voyages et ses rencontres à Tallinn, Riga et Vilnius pour décrypter l'issue du bras de fer a priori déséqui- libré que les indé- pendantistes avaient engagé avec Moscou. Pour écrire son bouquin Spelet om Baltikum (Le jeu autour des pays baltes, Norstedts), Ahlander a puisé dans la masse d'informations qu'il avait transmises à ses supérieurs sous la forme de télégrammes. Les mêmes, du moins en partie, que ceux rendus publics (de façon peu lisible...) par le gouvernement suédois. Un autre diplomate, consul à Riga de 1989 à 1991, a également largement reproduit dans un livre la matière première qu'il avait accumulée sur place (Lars Fredén, Förvandlingar, éd. Atlantis, qui fut suivi d'un autre sur la période 1991-1994; cf. cet article en suédois).

De tout ça, Stockholm s'est bien gardée de parler en présentant son initiative. Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères évoque "une grande quantité de rapports diplomatiques jusqu'à alors restés secret, remontant à la période dramatique de la chute de l'Union soviétique". Après tout, c'est de bonne guerre, même si on attendrait plutôt ce genre de pratique et de rhétorique de la part de journaux ou de maisons d'édition...

En visite à Riga il y a une semaine, Fredrik Reinfeldt, le premier ministre suédois (à gauche sur la photo, conserva- teur en réalité), a usé de la même méthode pour vanter la publication des archives "secrètes" suédoises. Valdis Dombrovskis, son homologue letton, n'était visiblement pas au courant de l'existence des livres des deux diplomates. Il a salué l'initiative suédoise comme constituant "une étape majeure dans l'approfondissement de nos connaissances et du processus qui était en cours à l'époque". Et il est fort possible, effectivement, que lesdites notes diplomatiques aient une valeur historique pour les chercheurs qui se penchent sur le sujet. Les plus intéressantes sont-elles désormais accessibles? Pas sûr... Car Stockholm en a gardé un nombre indéterminé dans ses armoires. Là aussi, c'est de bonne guerre. Un peu de transparence ça va, toute la transparence, bonjour les dégâts.

* * *

Plus tard, lors de la même visite officielle, Fredrik Reinfeldt tint un discours (en ang- lais) plus qu'élo- gieux sur la recette du "succès économique" suédois devant des étudiants de la Stockholm School of Economics de Riga (longtemps cofinancée par les autorités suédoises). Une fois les applaudissements épuisés, je croisais Carl Bildt, le chef de la diplomatie du royaume, devant des plateaux de petits fours. Pourquoi avoir "déclassifié" - oh l'anglicisme - les archives suédoises? Réponse: "L'époque était dramatique: la fin de l'URSS... La Suède, en tant que pays voisin, suivait de très près ce qui se passait chez les Baltes. Les rapports envoyés par nos diplomates étaient très significatifs et d'une grande qualité. Les rendre publics aujourd'hui, c'est notre contribution à l'écriture d'une histoire équitable de ces années-là."

Il y a 20 ans, Carl Bildt n'était pas encore l'habitué des coulisses diplomatiques et des réunions entre "hauts" dirigeants de ce continent, voire de ce monde. Il était le grand échalas qui, à la tête du parti conservateur, menait l'opposition "bourgeoise" avec l'espoir de déloger les sociaux-démocrates du pouvoir. A l'automne 1991, il y parvenait, à l'âge de 42 ans. Dans ses fonctions de premier ministre, il eut notamment à gérer la politique suédoise vis-à-vis de la nouvelle Russie de Boris Eltsine et des Baltes qui, on ne s'en souvient pas toujours, durent tolérer la présence d'éléments de l'armée russe (ex-armée Rouge) jusqu'en 1994.

Carl Bildt dut aussi s'employer à faire oublier quelques décisions ou propos malheureux d'autres responsables politiques suédois à l'encontre des Baltes. Stockholm fut l'une des rares capitales occidentales à reconnaître leur annexion par l'URSS durant la 2e guerre mondiale. Bien plus tard, lors d'une visite en URSS à l'automne 1989, celui qui était alors le ministre (social-démocrate) des affaires, feu Sten Andersson, eut le malheur d'affirmer que l'Estonie n'était "pas occupée" et que les militants baltes proindépendantistes ne constituaient qu'une "minorité" (il s'en expliqua dans ses mémoires, dont voici des extraits en suédois).

Dans la joyeuse ambiance de cocktail qui régnait à la Stockholm School of Economics de Riga, je rappelais à Carl Bildt ces épisodes peu glorieux pour l'Etat qu'il représente: "Ca ne devait pas être très facile pour toi [on se tutoie en suédois], à l'époque, de passer derrière et de recoller les morceaux..."
Bildt baissa un peu la tête - il est plus grand que moi - et me dit, en plantant son regard bleu dans le mien: "c'était une période... exigeante".

dimanche 20 février 2011

Gilles en Lettonie, c'est fini


Après "7 ans et 8 mois" à l'étranger, l'auteur du blog bien connu des internautes francophones amateurs des pays baltes - Gilles en Lituanie puis Gilles en Lettonie - rentre au pays.
Ce n'est pas par gaieté de coeur, on le sent bien. Gilles Dutertre apprécie sa vie d'expatrié et ne craint pas les déracinements répétés, de caserne en caserne, de mission en mission (Allemagne, Liban, Cambodge, Bosnie, etc.). Mais pour une raison indépendante de sa volonté, comme le veut l'expression, il a décidé de retourner vivre en France, plus précisément en Indre-et-Loire. Départ prévu mardi.


Durant sa période balte, Gilles n'a pas été du genre à se cantonner aux beaux quartiers des capitales. Lui s'est fondu dans la masse. Par nécessité - la retraite d'un ex-lieutenant-colonel n'est visiblement pas à rallonge - mais aussi par goût, me semble-t-il, il résidait dans les banlieues populeuses. D'abord sur les hauteurs de Vilnius, pendant 5 ans, puis à Riga depuis mars 2010, dans une tour des "nouveaux" quartiers reliés au centre-ville par moult bus et trolleybus.
Là, depuis son trois pièces, il observait la vie locale à sa façon, selon ses lubies, ses centres d'intérêt. Il était intarissable sur les aléas de la météo, les accidents de la route, les petits événements qui animent les discussions de tous les jours. On les retrouvait dans les billets réguliers et concis qu'il écrivait sur son blog, le plus souvent avant le lever du jour, lui qui, droit dans ses bottes, continuait à vivre au rythme de la caserne.
Gilles est aussi friand d'histoire et s'en est fait une spécialité sur le tard. A Riga, il a fréquenté des bibliothèques, à la recherche d'ouvrages qui pourraient l'aider dans la préparation d'un livre sur les Français dans l'histoire de la Lettonie. La suite logique de celui qu'il avait écrit, avec la même approche, sur la Lituanie. Paru chez L'Harmattan, ce 1er bouquin lui a valu une petite notoriété dans une région d'Europe peu habituée à ce que des étrangers écrivent à son propos.
Le regard de Gilles pétille lorsqu'il raconte les conférences qu'il allait donner "dans les provinces de Lituanie", sur son thème de prédilection ou bien juste pour parler de la France ou de n'importe quel autre thème, pour peu que ça soit en français. Ses hôtes voyaient débarquer un gaillard encore vert, toujours propre sur lui et peu avare d'anecdotes, lui qui aime bien, notamment, s'attarder sur son parcours.
Une fois ce 1er livre terminé, Gilles a commencé à s'ennuyer à Vilnius. "Cinq ans dans la même caserne, ça ne m'était jamais arrivé avant!", plaisante-il, avec un fond d'humour propre aux (ex-)militaires. Il lui fallait un nouveau projet. Pourquoi ne pas s'installer à Riga, à quatre heures de route? Il y a près d'un an, il arrivait donc dans l'ancienne ville hanséatique avec armes et bagages ("400 kilos", dont un tas de bouquins, accumulés au fil des années). Aidé par un ami du cru, il n'a pas tardé à trouver ses marques dans cette nouvelle ville-étape. Le tempérament letton, plus réservé que le lituanien, l'a un peu dérouté, même s'il s'y attendait. Il s'explique notamment par l'histoire, les occupations, et la présence à Riga d'une forte proportion de représentants de la minorité "russophone", arrivés pour la plupart durant l'annexion soviétique. "Riga, c'est surtout une ville russe", a coutume d'observer notre blogueur qui, dans ses billets, n'hésite pas à épouser les opinions des "patriotes" de tous poils que comptent les pays baltes.
Gilles et moi, nous n'avons pas toujours été d'accord sur tout, et il le sait. A quelques reprises, nous avons eu l'occasion de nous expliquer, toujours de manière courtoise. Sa manière de taper sur les médias en général dès que l'un d'entre eux commet une boulette, surtout lorsqu'elle concerne ses chers pays baltes, m'a parfois lassé... Il n'a pas tort sur le fond, mais ses piques - fort appréciées de ses lecteurs les plus fidèles - frisent parfois la démagogie. Mais qu'y puis-je? A chacun ses opinions, son style. Et puis, comme il le dit lui-même, "Antoine, il ne faut pas te sentir visé!" Peut-être suis-je devenu un peu trop sensible aux attaques dont ma profession est souvent la victime un peu facile, alors que, comme les trains à l'heure, le boulot utile dont elle s'acquitte sans dérailler passe, lui, inaperçu. Bref!
Malgré ces petits différends, malgré mes a priori de départ et nos différences (nous n'avons jamais parlé politique mais je subodore le fossé) et malgré le fait que nous ne nous sommes que peu croisés, je crois toutefois pouvoir avancer que Gilles et moi éprouvons un certain respect mutuel. C'est déjà pas mal.
Mardi, il atterrira dans son pays natal, avec une vague appréhension. Pas évident de réintégrer ses pénates après des années à l'étranger, nous sommes nombreux à en avoir fait l'expérience. Je lui souhaite bon vent. Gageons que, s'il rencontre l'ennui en Touraine, il saura le tromper en renouant avec ses amours baltes, ne serait-ce que grâce à Internet. Quelque chose me dit que, dans les mois à venir, il nous arrosera de billets et d'informations lettones et lituaniennes via son blog, comme s'il était encore à Riga, à veiller du haut de sa tour de banlieue.

mercredi 2 février 2011

Mannerheim, Sibelius et autres pierres froides

On croise de grands hommes transis sur les artères enneigées de Helsinki. Aux alentours du parlement, ils sont quelques-uns à veiller nuit et jour, du haut de leur piédestal, bravant un froid à fendre la pierre (sans doute encore une manifestation du sisu finlandais). Ils continuent à se côtoyer, comme de leur vivant. Ou à se surveiller.


Kyösti Kallio, ancien premier ministre (à quatre reprises) et président de la jeune République entre 1937 et 1940, est assis de façon à ne pas manquer un geste de ses rivaux politiques, qu'il aperçoit de profil, au garde-à-vous devant l'Eduskunta, le parlement (qui a un site en français, s'il vous plait).

Il y a là Kaarlo Juho Ståhlberg:


Considéré comme le père de la Constitution finlandaise (c’est l’ouvrage qu’il tient d’une main non-gantée, l'imprudent), ce moustachu timide et réservé fut le 1er président élu après l’indépendance et la guerre civile. En poste de 1919 à 1925, il fut candidat malheureux à cette même fonction dans les années 1930. Notamment face à Kallio, mais aussi à Pehr Evind Svinhufvud:


Pas évident de porter un tel patronyme. Svinhufvud signifie tête de cochon en suédois (dans l’orthographe alors en vigueur). Cela ne l’empêcha pas de devenir populaire dans le pays, qui lui donna le sobriquet d’Ukko (vieux) Pekka. Pekka est la version finnisée de Pehr, prénom porté au sein de la minorité suédophone, dont Svinhufvud faisait partie.

Ståhlberg et Svinhufvud, eux, ont en ligne de mire un autre personnage qui, aujourd'hui, leur fait de l'ombre sous l'arbre de la postérité nationale.


Le maréchal Carl Gustaf Mannerheim, baron de son état, est le seul à trôner sur un cheval.


Le grand militaire, qui a encore des inconditionnels en Finlande, tourne le dos à ses anciens pairs. Il jouit d'un emplacement central, plus proche du cœur de la ville. S'il a mené une armée qui a su opposer une résistance remarquable face aux Soviétiques durant les Guerres d'hiver et de continuation, il paraît moins à l'aise dans le maquis mécanique contemporain.



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Bien couvert dans ma parka enfilée sur deux pulls et une veste, bonnet de laine sur le crâne et moufles assorties (sauf pour manier mon précieux Lumix), je continue mon bonhomme de chemin, descends à gauche vers la gare centrale pour aller, sur la place attenante, saluer Aleksis Kivi, le premier écrivain de stature à avoir publié son oeuvre en langue finnoise.


Il sera question de Kivi, et de bien d'autres auteurs de la région, dans le n° de mars du Magazine littéraire. Le dossier, auquel j'ai contribué, sera consacré à la littérature nordique, l'invitée du Salon du livre de Paris (du 18 au 21 mars).

Je poursuis mon chemin, évitant les pièges verglacés, pour arriver à proximité d'un des grands compositeurs classiques finlandais, Fredrik Pacius.


Pacius est l'auteur, entre autres, de la mélodie qui allait devenir l'hymne national finlandais sur un poème de Runeberg, autre grande figure de l'éveil national au 19ème siècle. L'hymne, Maamme laulu (Notre pays), est ici interprété avec sobriété par un chœur d'hommes:





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Wikipedia dit de Pacius, d'origine allemande, qu'il est surnommé "le père de la musique finlandaise". Dans ce cas, Jean Sibelius est son fils prodige. Mon séjour à Helsinki m'amène à l'Académie qui porte son nom depuis 1939. Une pépinière de talents qui, une fois leur diplôme en poche, vont peupler les orchestres de Finlande et d'ailleurs, mais aussi porter la bonne parole musicale auprès d'élèves de tous âges.


A l'occasion de la venue à Paris d'un des anciens élèves les plus réputés de l'Académie, Esa-Pekka Salonen, La Croix m'a commandé un reportage - à paraître incessamment - sur cet établissement assez remarquable, qui attire de plus en plus d'étudiants non-finlandais. Y compris quelques Français, comme Vincent Lhermet, un Clermontois qui se destine à devenir accordéoniste d'orchestre classique.


Le recteur de l'Académie Sibelius, Gustav Djupsjöbacka, ne se fait pas prier pour poser au côté du grand compositeur. C'est tout juste s'il ne me tire pas par la manche pour m'emmener devant le buste de cet auguste ex-pensionnaire de l'établissement.


En grande forme ce matin-là, Gustav ne peut s'empêcher d'exhiber quelques-uns des produits dérivés tentant de tirer quelque profit de la "marque" Sibelius. Cigare, champagne...




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Mais revenons à nos statues. Difficile, à Helsinki, d'échapper à la nature et aux créatures qui la hantent, ou du moins à leurs représentations. Les exemples surgissent sans même qu'on les cherche. Pot-pourri:





Sans parler du canasson de Mannerheim.
A propos, la photo ci-dessous ne vous rappelle rien?


Mannerheim, le lonesome cowboy du Septentrion.