vendredi 30 septembre 2011

Quel lapin sortira du chapeau Nobel?

Et c'est reparti pour les spéculations concernant les prochains prix Nobel, et en particulier celui de la paix. Dans une semaine exactement, le 7 octobre à 11 heures locales, le Comité Nobel norvégien annoncera son choix. Qui succèdera à Barack Obama (2009) et à Liu Xiaobo (2010), pour ne citer que les plus récents lauréats? Le cru 2011 sera-t-il aussi controversé que les deux précédents? Le premier l'avait été parce que le président américain venait de débuter son mandat (manque de résultats concrets) et de décider de l'envoi de renforts militaires en Afghanistan (incompatible avec l'idée même de paix, selon les pacifistes). Le second parce que le régime chinois avait piqué une grosse colère après le choix d'un dissident qu'il avait expédié en prison pour contestation.

Sauf à vouloir descendre de son piédestal pour devenir avant tout une instance politique au message moralisateur, il sera difficile au Comité Nobel de continuer éternellement sur cette lancée. Une récente discussion avec le secrétaire du Comité Nobel, Geir Lundestad, me laisse entendre que le profil du ou de la lauréate 2011 sera plus consensuel, moins exposé à la polémique.

"Il y a beaucoup de chemins qui mènent à la paix. Il est évident que cette année, le prix sera d'un autre genre que les précédents", me disait Geir Lundestad, rencontré le 2 septembre pour un article à paraître la semaine prochaine dans le magazine Challenges.
Cette demi-confidence survenait quelques jours après une réunion des cinq membres du Comité norvégien, à laquelle il avait assisté en tant que secrétaire de cette instance indépendante, poste qu'il occupe depuis 1990.

Et Lundestad (à gauche) d'ajouter: "Ce n'est pas parce que certains prix à venir auront un profil moins haut qu'il faudra considérer que nous regrettons celui que nous avons donné l'an dernier à Liu Xiabo". Sous-entendu: les critiques et les appels au boycottage de la cérémonie du prix 2010 par Pékin n'ont en rien ébranlé les convictions du Comité Nobel, mais chaque prix ne sera pas aussi explosif.

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Certains journalistes scandinaves croisés en septembre à Oslo sont, eux, convaincus que le Comité Nobel réserve encore une surprise détonante pour la cuvée 2011. Telle serait la volonté du président du Comité, Thorbjørn Jagland. A en croire mes confrères, cet ancien premier ministre est avide de publicité et prêt à beaucoup de choses pour que le monde entier parle à nouveau du lapin sorti du chapeau norvégien. Quoi de plus efficace alors qu'un prix poil à gratter qui exaspère tel ou tel puissant de ce monde ?

Les propos tenus par Geir Lundestad m'incitent toutefois à croire qu'un nouvel éclat polémique n'est pas à attendre cette année. Mais peut-être me suis-je fait rouler dans la farine... Peut-être Geir Lundestad a-t-il pris ses désirs pour des réalités? Peut-être Thorbjørn Jagland a-t-il réussi entre-temps à imposer ses vues auprès des quatre autres membres du Comité (quatre femmes, soit dit en passant, élues comme lui par le Parlement norvégien).

Les entretiens accordés ces derniers jours par Thorbjørn Jagland à des agences de presse internationales n'ont guère éclairé ma lanterne. A l'AFP qui lui demandait avec insistance si le "printemps arabe" serait distingué, comme le supputent plus d'un expert, il a refusé tout commentaire sur ce point précis. Un tel choix paraîtrait assez logique si l'on s'en tient aux principaux développements survenus récemment sur la scène internationale. Rappelons que, dans son testament rédigé en 1895, Alfred Nobel avait souhaité que les futurs prix soient décernés à des personnalités ayant oeuvré pour le bien de l'humanité au cours de l'année écoulée.

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Cela dit, le Comité Nobel a déjà montré par le passé qu'il pouvait aussi décerner son prix à des personnalités ou à des organisations ayant accompli un travail de longue haleine, et pas forcément sous les projecteurs. Et puis quelle personnalité choisir dans le monde arabe en ébullition? Encore faudrait-il trouver quelqu'un(e), ou une organisation, qui symbolise suffisamment les avancées en cours, et si possible sans casseroles pour ternir sa réputation. Certains experts, habitués des devinettes d'avant-prix Nobel, se risquent à quelques pronostics ici ou là.

Pour éviter les querelles sur l'identité du "meilleur" champion du printemps arabe, pourquoi ne pas distinguer une autre partie du globe cette année, quitte à le retenir une fois qu'on y verra un peu plus clair dans les mêlées égyptienne, tunisienne, libyenne, etc.? En contrepartie, l'Académie suédoise pourrait dès maintenant accorder le prix de littérature à un écrivain arabe. Seul l'Egyptien Naguib Mafouz a eu cet honneur (en 1988). Cet automne, raconte The Guardian, le Libanais Adonis tiendrait la corde parmi les parieurs.
Réponse la semaine prochaine...

N. B. (le 12 octobre): le lapin est en fait une lapine, ou plutôt trois... Deux Libériennes (la présidente Ellen Johnson Sirleaf et la militante pacifiste Leymah Gbowee) et une Yéménite (la journaliste et activiste Tawakkul Karman) pour leurs efforts en vue de promouvoir et de faire respecter les droits des femmes dans des régions où ils sont encore bafoués.
Geir Lundestad avait donc dit vrai: le cru 2011 est nettement plus apte à faire l'unanimité que les précédents, même si certains se sont étonnés que le prix ait été accordé à la présidente libérienne à quelques jours du 1er tour de l'élection présidentielle dans son pays, elle qui remettait en jeu son mandat (la voici en train de voter - vidéo AFP).
Depuis la publication de ce billet, l'article que je préparais pour Challenges est paru.

lundi 19 septembre 2011

Lettonie: pourquoi le parti des russophones arrive en tête

Et ce qui devait arriver arriva. Le principal parti de l'importante minorité russe de Lettonie a obtenu le meilleur score aux élections législatives. Ca s'est passé samedi, le 17 septembre, journée qui devrait rester dans l'histoire encore courte de cet Etat, 20 ans après son retour à l’indépendance.


Il serait tentant de commencer par esquisser les retombées des élections sur les relations entre la Lettonie avec d'un côté la Russie, de l'autre l'Ouest (pour faire vite). Mais il ne me paraît pas inutile de revenir avant sur quelques faits pour expliquer les résultats de samedi.


S'il arrive pour la 1ère fois en tête, le principal parti de la minorité russophone (d'origine russe, donc, mais aussi biélorusse et ukrainienne) n'a que relativement peu progressé par rapport aux dernières législatives, tenues en octobre 2010. Le Centre de l'harmonie, c'est son nom, est passé de 26% à 28,3% des voix.

Cela s'explique notamment par la quasi disparition de l'autre parti de la minorité, le PCTVL, qui est passé entre-temps de 1,43% à 0,78% des voix. Le Centre de l'harmonie a également profité d'une légère baisse du taux de participation (60,5% contre 63% il y a un an), qui a semble-t-il surtout affecté les partis "lettons".


Pourquoi le Centre de la concorde devance-t-il les autres? Il y a différentes raisons:


- ce parti n'a jamais participé à un gouvernement depuis le retour de la Lettonie à l'indépendance en 1991. Il a donc l'avantage de ne pas avoir eu à mettre les mains dans le camboui du pouvoir au niveau national. Aux yeux de la minorité russophone, en particulier, il ne porte pas la responsabilité des mesures d'austérité qui ont suivi la crise profonde de 2008, adoptées en échange de l'aide financière internationale.

En dépit de cette virginité, il ne semble pas que ce parti ait grignoté sur l'électorat "letton-letton". Dans ce pays, on continue à voter pour son camp ethnique, comme par réflexe. Il y a encore trop de mauvais souvenirs, trop de points de discorde, de ressentiments pour qu'il en soit autrement. En d'autres mots, il est encore trop tôt.


- ce parti attire donc quasiment tout l'électorat de la minorité russophone, qui n'imagine pas encore voter pour des partis "lettons-lettons". Ce réflexe communautaire n'est pas près de s'estomper tant que le camp opposé n'aura pas à accorder plus de droits à la minorité, et en particulier celui de voir sa langue (le russe) élevée au rang de langue officielle du pays, au même niveau que le letton. Cette question de principe n'est pas à l'ordre du jour des gouvernements qui se sont succédé à Riga, précisément parce que les Lettons de souche se sentent encore menacés dans leur identité par cette importante minorité active.


- le camp "letton-letton" (les Lettons de souche, de langue maternelle lettone) s'est fragmenté en raison de l'émergence du parti de l'ancien président Valdis Zatlers, qu'il a créé en juillet, peu après la fin de son mandat. J'en avais alors parlé sur ce blog à l’occasion du lancement d’une procédure de dissolution du parlement par le même Valdis Zatlers, fait inédit dans l’histoire lettone. Quelles que soient les raisons réelles qui l'ont poussé à lancer son parti, le fait est qu'avec son score de 20,8%, le président sortant a grandement contribué à affaiblir la formation de Valdis Dombrovskis (18,3%), le premier ministre sortant, qui s’adresse au même électorat letton de souche, tendance plutôt modérée.


Quelles seront les conséquences des résultats de samedi?


- Tout d'abord, rien ne dit que le Centre de l'harmonie parviendra à entrer dans le gouvernement. En dépit (ou à cause) de son avance de près de huit points sur le 2e du scrutin, il reste considéré comme peu fréquentable par les autres partis. Pour différentes raisons liées au passé, au partage du pouvoir, au patriotisme (parfois plus feint que réel), aux principes, etc.

Seuls L'Union des verts et des paysans (ZZS, 12,2% des voix) de l'un des trois oligarques lettons et, peut-être, le nouveau parti de Valdis Zatlers (20,8%) seraient prêts à collaborer avec lui au sein d'une coalition gouvernementale. Mais cela paraît d'autant moins réaliste que le rapport des forces actuel penche trop en faveur du parti russophone. A moins que celui-ci ne réclame moins de ministères qu'il serait en droit d'obtenir et ne se contente que de portefeuilles non-stratégiques. A suivre donc.


- Ensuite, peut-on voir dans le vote du 17 septembre une volonté des Lettons de se rapprocher de Moscou ou de s’arrimer à la Russie en tournant le dos à l’Europe ? J’ai entendu cet argument ces derniers jours. C’est une vision un peu manichéiste qui ne tient pas compte de la réalité lettone. On ne peut pas parler d’un électorat letton en tant que tel. Il y a l’électorat letton de souche et l’électorat letton russophone.

Le 1er, qui est majoritaire dans le pays, n’a aucune envie de tourner le dos à l’Europe, même s’il peut regretter le peu d’investissements de pays de l’UE (hormis les nordiques) dans une économie locale qui en aurait grand besoin. Ce qui n’empêche pas certains Lettons de souche à la vue basse de vouloir gagner plus d’argent en développant le business avec des entreprises russes, au risque d’accroître la dépendance du pays vis-à-vis du grand voisin.

Pour l’électorat russophone, c’est plus compliqué. Hormis une frange de nostalgiques de l’époque soviétique et de partisans d’un rapprochement avec la Russie, il n’a pas particulièrement envie de dépendre du pouvoir moscovite. Mais ces Lettons-là sont culturellement proches de la "mère patrie" voisine, ils sont branchés sur la télé russe de Russie et voudraient voir leur langue maternelle obtenir le statut de 2e langue officielle au côté du letton. Pour eux, il est naturel de regarder vers l’Est, même si les plus éduqués d'entre eux comprennent qu’un régime "à la russe" a des inconvénients, notamment en termes de liberté d’expression. Le fait que le Centre de l’harmonie soit lié par un accord politique au parti dépendant de Vladimir Poutine a de quoi inquiéter les Lettons de souche. D’où les négociations pour éviter l’entrée de ce parti dans la future coalition gouvernementale lettone.


- De l’issue de ces négociations dépendra l’attitude de Bruxelles et des grandes capitales européennes. Le premier ministre sortant, Valdis Dombrovskis, bénéficiait d'une certaine confiance au sein de l'UE et du FMI, qui voyaient en lui le garant d'une certaine stabilité politique et financière. Avec lui, ils étaient à peu près sûrs que les engagements de l'Etat letton pour sortir de l'ornière seraient tenus, même si le coût social est lourd (départ de Lettons vers l’étranger, chômage, appauvrissement, etc.). Dombrovskis faisait le sale boulot exigé par les créditeurs. S’il n’est pas reconduit (scénario possible), qu’adviendra-t-il de cette crédibilité, avec quelles conséquences? A suivre là aussi.


Je reviendrai plus tard sur un autre aspect du scrutin de samedi, le sort réservé aux oligarques lettons.